Derrière la réforme du RSA, la normalisation de l'insécurité psychologique et sociale des sujets sociaux :


En ce 1er Janvier 2025, la réforme du revenu de solidarité active (RSA) entre en vigueur. 

Il s’agit notamment de conditionner ce revenu à 15 à 20h d’activités hebdomadaires. Outre la question que cela pose autour de la généralisation d’un travail qui serait gratuit, attachons nous à y déceler une autre conséquence qui va en s’aggravant. Cette conséquence relève d’une forme d’insécurité psychologique et sociale, généralisée à l’ensemble du champ social.
En effet, cette insécurité psychologique et sociale s’inscrit dans des transformations politiques et sociales qui sont à l’œuvre depuis plusieurs décennies, l’on peut dater ces transformations à l’ère des réformes néolibérales qui sont mises en œuvre depuis l’avènement de l’économie néo libéralisée dans la majeure partie des pays du monde, certains en en tirant un profit considérable (les pays dits du Nord), d’autres en subissant ces réformes structurelles (les pays dits du Sud).

Ces réformes que je propose de nommer « néolibérales » sont toutes peu ou prou mobilisées à des fins économiques et pour se maintenir à un certain niveau de compétitivité, afin de rester dans la course à la compétition mondiale. Qu’il s’agisse de la réforme de l’assurance chômage, de l’assurance retraite, du code du travail, de la fonction publique ou aujourd’hui du RSA, l’objectif poursuivi est le même : Faire des économies sur les dos des acquis sociaux et sur le dos des populations les plus précarisées, dans le but d’en finir avec le modèle social au profit de dispositifs d’agences privées uniquement motivées par la rentabilité économique. Cette combinaison de réformes est toujours motivée par « les besoins économiques » qui seraient une science exacte, que l’on ne peut questionner, à moins d’être un idéaliste ou un fou furieux. Ainsi, ces réformes s’inscrivent toujours dans une réalité sociale et politique indépassable. Les gouvernements successifs ne font qu’appliquer ce qui relève du principe de réalité. En conséquence de quoi, les citoyens et individus finissent par entendre cette réalité des « besoins économiques » et se font à l’idée qu’elle est indiscutable.

Dès lors, si ces réformes sont inévitables, pour les populations il s’agit en permanence de s’adapter et de se tenir sur ses gardes. C’est précisément ce point qui mérite un éclairage particulier. Ces réformes pèsent concrètement dans le quotidien des individus et les habituent à ne jamais bénéficier d’un confort, ou plus exactement du droit de jouir d’un sentiment de confort. Précisons. Si ces réformes changent parfois radicalement le cours d’une vie d’un individu, elles introduisent également une forme de domination mentale qui contraint les individus au doute, à la peur, à l’angoisse et à l’arbitraire des lois et réformes qui sévissent ici et là, au gré des agendas politiques des gouvernants. Avec les réformes successives, l’on installe la normalisation du doute et de l’insécurité psychologique des individus, afin de les habituer à un rapport au monde social et professionnel structurellement instable et insécurisant. L'insécurité psychologique et sociale devient la norme. 

Par conséquent, l’individu apprend à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, l’obligeant à se discipliner et à intérioriser l’idée que rien n’est acquis. Nul doute que si l’instabilité chronique et l’insécurité psychologique et sociale se normalisent au sein de la société, il devient vital de tenter de préserver le peu de certitudes qui s’offrent à soi, l’être humain cherchant à combler son inconfort psychologique par la possibilité de se rassurer au maximum. Ainsi, l’individu qui évolue tant que bien que mal va progressivement accepter sa situation sociale et politique en se contentant de ce qu’il a. De plus, il sera toujours invité à se comparer avec d’autres, notamment via la mise en concurrence généralisée du champ social, pour arriver à en conclure que sa situation pourrait être pire. De cette façon, on parvient à pacifier le champ social en nivelant vers le bas car il y a toujours pire que soi.

Les réformes sont alors, outre les besoins économiques qui sont agités en permanence, autant de moyens pour instaurer un climat d’insécurité sociale généralisé. Ce climat permet de maintenir les rapports de force en présence, tout en creusant méthodiquement une scission entre les classes laborieuses livrées totalement à elles-mêmes, et les classes laborieuses qui se différencient par la possession de quelques ressources. Lesquelles ressources deviennent alors perçues et vécues comme étant presque des privilèges qu’il convient donc de chérir et de conserver, au risque de tout perdre. Voilà, comment l’on divise une classe sociale entre celles et ceux qui n’ont rien, et celles et ceux qui ont à peine un peu plus mais pour qui, ce plus, est savamment entretenu par les réformes et lois successives comme étant un privilège social, pourtant menacé, contestable et toujours en suspens.

En somme, la réforme du RSA a ceci de particulier qu’elle vient taper sur les franges des classes populaires les plus précarisées. De ce point de vue, il s’agit d’une réforme particulièrement violente puisqu’elle s’attaque aux personnes les plus fragilisées socialement, mais aussi aux personnes déjà sujettes à de potentiels troubles mentaux et psychologiques divers, l’équilibre mental d’un individu étant souvent dépendant de sa situation sociale. L’on comprend ici que ce type de réformes provoque une double conséquence : elle fragilise et précarise la situation sociale des individus les moins dotés en capital économique, et elle fait intérioriser à ces mêmes individus la fatalité de leurs situations, tout en les culpabilisant d’être des profiteurs d’un système qui serait trop généreux. Nous avons là de quoi développer un certain nombre de troubles psychologiques voire schizophréniques chez ces individus qui sont, simultanément, des précaires sociaux économiques et les heureux et chanceux profiteurs d’un modèle social donné. Le RSA attribué aux plus précaires sous conditions, combiné au plaquettes de Subutex, illustre cette ambivalence d’une situation sociale précarisée, qui serait trop avantageuse mais qui a pourtant de véritables conséquences mentales et psychologiques sur les individus.

Enfin, l’occasion m’est donnée ici de dénoncer, à travers cette réforme du RSA, cette idée scélérate - entretenue par les gouvernants - selon laquelle ce sont les individus qui mobilisent librement et individuellement l’option du RSA ou du chômage. La situation d’un individu au chômage ou au RSA ne découlerait pas de réalités structurelles qui font que l’accès à l’emploi reste difficile pour bon nombre de demandeurs, que le nombre d’emplois vacants ne correspond pas toujours aux nombres de demandeurs, que les perspectives d’emplois stables et rémunérateurs restent maigres, et plus encore que les licenciements, rebaptisés joliment « plans sociaux », se multiplient au gré des délocalisations et de la désindustrialisation. Non, rien de tout cela, le chômage serait un choix conscient, délibéré et intéressé…Le chômage ou le RSA ne sont pas des choix individuels mais bien la résultante situationnelle de politiques structurelles qui privent des salariés d’emploi. Or, cette réforme du RSA ambitionne d’asseoir définitivement l’idée, déjà bien acquise au sein de la population, que bénéficier du droit au chômage ou au RSA est un choix délibéré qui n’a que trop duré, et qui serait mobilisé par des populations catégorisées comme fainéantes et profitant d’un système beaucoup trop généreux, provoquant ainsi la scission entre les « honnêtes gens » qui travaillent durement et les profiteurs qu’on hésite plus à qualifier de parasites.

Cette idée est absolument scélérate car elle fait d’une réalité structurelle dont les conséquences peuvent être l’exclusion sociale, la mort sociale et possiblement la mort tout court (le chômage tue entre 10 000 et 20 000 personnes par an selon une étude sur la santé des chômeurs)[1], un choix délibéré et individuel mobilisé par des individus qui seraient des privilégiés sociaux. Le monde à l’envers.

La réforme du RSA introduit donc l’exploitation par le travail gratuit, resserre l’étau et accentue davantage la mort sociale des populations les plus fragiles et les plus précarisées socialement. Cela avec le consentement d’une population effrayée par la peur de tout perdre, sur lequel capitalisent et arbitrent les gouvernants.

Saïd Oner,


[1] https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/chomage/le-chomage-tue-entre-10-000-et-20-000-personnes-par-an-en-france_858235.html#:~:text=Suicides%2C%20maladies%20cardiaques%2C%20etc.%20Le%20ch%C3%B4mage%20tuerait%20%22entre,fran%C3%A7ais%20pour%20la%20sant%C3%A9%20et%20la%20recherche%20m%C3%A9dicale.





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