La salle de sport, laboratoire du capitalisme patriarcal :

Devenues véritable phénomène de société, les salles de sport fleurissent notre quotidien et font partie intégrante du paysage citadin, au même titre que le supermarché, la banque ou encore la pharmacie. Elles se développent en Europe depuis une quinzaine d’années où différentes marques se battent pour obtenir le monopole du marché du fitness. En effet, ces salles de sport s’inscrivent dans le champ tendanciel, porteur et très lucratif du développement personnel dans lequel on peut regrouper la psychologie du bonheur, les ouvrages récurrents sur le développement de soi et plus généralement dans une certaine idéologie de l’individu « acteur de son changement ».

En élargissant le point de vue, on pourrait même ajouter que ces salles de sport sont en adéquation totale avec l’idéologie néolibérale qui consiste à déstructurer les forces collectives pour les réduire à des fragments d’individus isolés et à qui l’on fait entendre que si l’on veut, on peut. Ainsi, les salles de sport regorgent d’individus qui ne se parlent pas et qui évoluent dans un rapport de soi à soi. Il s’agit de moi, de mon corps, de mon individualité avec pour finalité le dépassement de soi. L’idéologie méritocratique est effectivement très prégnante et chacun est gagné par l’idée qu’il doit se dépasser, qu’il doit souffrir pour obtenir des résultats et que lui seul est responsable de sa réussite ou de ses échecs. Ici, l’idéologie méritocratique va de pair avec l’intériorisation de la culpabilité personnelle : si je n’ai pas réussi, c’est parce que je n’ai pas assez fourni d’efforts. Le coupable, c’est moi.

Le régime disciplinaire et de contrôle théorisé par Michel Foucault a remis en cause l’intervention punitive d’un tiers pour contraindre les individus, et a démontré qu’il prend toute sa puissance à travers l’intériorisation de normes disciplinaires par l’individu, lui-même. Le régime disciplinaire et de contrôle a pour objectif de faire entendre que le chef est dans nos têtes, beaucoup plus qu’en face de nous ou au coin de la rue. En quelque sorte, nous pouvons dire que le laboratoire que constitue la salle de sport témoigne de cette intériorisation de ces normes disciplinaires, où chacun fournit l’effort, se tue à la tâche et se conforme à l’idéologie dominante du dépassement de soi.

On pourrait ajouter une autre dimension qui est celle du culte du corps. Les individus étant mis en concurrence dans la totalité des champs sociaux, qu’ils soient professionnels, relationnels ou encore situationnels, le corps est alors investi comme un énième objet de mise en concurrence entre les individus. Il y a des corps respectables, valorisés par la société du spectacle et des corps qu’on ne saurait voir. Des corps dessinés et musclés pour les hommes, des corps affinés aux attributs remarqués pour les femmes, le tout dans une sexualisation à outrance de tous ces corps qui font l’objet d’intérêts économiques et marchands. Là aussi, le corps devient objet de marchandise et n’est valorisé qu’à partir de considérations communicationnelles et économiques.

La dimension patriarcale vient s’incarner à travers l’imaginaire de la puissance masculiniste et viriliste. D’abord les salles de sport sont majoritairement fréquentés par des hommes qui occupent l’espace en exhibant leur corps, voire en l’imposant à autrui. Ils occupent l’espace comme ils occupent l’espace social et professionnel, ils sont majoritaires et imposent leur présence. La salle de sport est donc un espace très masculin dans lequel les hommes ont le pouvoir. Ils ont en effet le pouvoir d’occuper l’espace, de sélectionner les machines les plus prisées et de véhiculer un certain imaginaire de l’homme puissant et viril.

Dans cette configuration, quelle place pour les femmes ? Et bien, il s’agit déjà pour elles d’oser fréquenter un milieu occupé par les hommes avec l’idée d’accepter d’être relativement minoritaire dans cet espace. Espace dans lequel elles seront cantonnées à des tâches subalternes (comme souvent en entreprise) et n’auront pas accès à un certain type de matériel. Dans l’imaginaire collectif et dans la société patriarcale, les femmes, dans le champ sportif, sont plutôt destinées à la course à pied et à la gymnastique. Elles intègrent donc l’idée que les machines relatives à la musculation du corps ne sont pas tant pour elles, et que l’espace que l’on veut bien leur accorder est celui où elles travaillent sur l’affinage du corps (course à pieds, abdominaux, gym). Ce point vient confirmer que dans la société patriarcale, les hommes ont le pouvoir sur le corps des femmes, sur la manière dont elles devraient l’entretenir. Aux hommes la puissance et les muscles à travers les machines les plus imposantes, aux femmes la maigreur et l’absence de défauts corporels à travers le tapis de course ou le tapis de sol.

La symbolique voudrait même que les femmes fassent des activités parfois couchées à même le sol, quand les hommes peuvent s’élever à travers des activités où ils exhibent leur puissance.

Ajoutons à cela la difficulté pour les femmes de se sentir en sécurité dans ce type d’espaces. En effet, étant minoritaires et entourées d’hommes, le regard de ces derniers est souvent posé lourdement sur elles. Déambuler dans un espace social dominé par les hommes peut relever du parcours de la combattante, tant le poids des regards se fait sentir et tant il faut de persévérance pour évoluer dans un milieu où règne le masculinisme transpirant.

Nous pouvons donc conclure que la salle de sports est un espace qui reproduit et exacerbe le schéma patriarcal que nous retrouvons dans différents espaces sociaux. La salle de sport est conçue pour les hommes, elle valorise, exhibe et fantasme la puissance masculiniste et viriliste. Elle tend à précariser et à reléguer les femmes au second plan, dans un espace restreint, et à qui l’on concède la possibilité de pratiquer quelques exercices très à la marge car ils correspondent, in fine, au fantasme masculin : un corps fin, jeune et avec quelques formes.

Saïd Oner, 


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog