La sempiternelle critique de la société de consommation, une rhétorique qui se consomme comme du petit lait. 

Les critiques sur le Black Friday vont bon train. Il est très tentant de s'en donner à cœur joie en se moquant de toutes ces personnes qui cèdent aux sirènes de la surconsommation. C'est facile, ça fait du bien et on jouit d'un sentiment de supériorité, nous qui ne baissons jamais notre pantalon…

Sauf que, sauf que, la société de consommation que l'on aime à dénoncer à tout va, est avant tout une société qui produit de l'aliénation. Elle valorise une économie du désir qui consiste à faire intégrer dans les esprits que nous avons besoin des outils et des objets qui sont à notre disposition. Tout est pensé et tout est organisé autour de l'idée que nous avons besoin de ce que produisent nos marchands.

Les espaces publics sont des espaces commerciaux qui participent de l'intériorisation du rôle de l'individu consommateur. Et quand bien même il n'achète pas, il intègre l'idée qu'il "faut" acheter, qu'il "faut" posséder. A ce propos, le fait de posséder est une caractéristique qui donne le sentiment d'exister dans l'espace social, cela contribue à l'idée que lorsque tu possèdes, tu es reconnu. En possédant, tu peux narrer ton existence sociale. Le réflexe petit bourgeois consiste à critiquer le phénomène d'achats compulsifs et inutiles de la part des populations les plus précaires… C'est justement la démonstration d'une incapacité à comprendre que la société éduque à la possession, comme étant un marqueur social : je possède donc je suis.

Par conséquent, si le prolétaire achète plus que de raisons, c'est parce qu'il a intégré cette idée qu'il peut être reconnu socialement à travers ce qu'il possède. D'où les queues interminables pour acheter le dernier iPhone en date, par exemple.

L'être humain a besoin de se raconter, il a besoin d'exister et la société lui fait entendre que c'est la possession qui fera de lui quelqu'un de légitime et de reconnu.

Alors oui, il est possible individuellement de se poser des questions, de réfléchir à l'utilité de tel ou tel objet, de relativiser tel ou tel besoin …Et l'individu qui réfléchit est un individu qui pose problème à cette société de consommation, car il tente de résister à cette injonction à laquelle nous sommes soumis.

Malgré tout, l'individu reste pris dans des rapports structurels dans lesquels il est difficile de raisonner. Nos marchands ont des techniques de séduction, ont investi les espaces sociaux, professionnels et privés, ont colonisé les imaginaires, privilégient l'impact émotionnel et l'instantanéité et jouissent d'une liberté pleine et totale pour vendre l'idée que l'individu ne se réalise que dans son rôle de consommateur. Il est d'ailleurs remarquable de voir à quel point la puissance publique participe de cette idéologie là, précisément en insistant sur la notion de "pouvoir d'achat" des individus qui serait le champ le plus important à développer.

Plutôt que de critiquer un peu facilement les individus qui consomment stupidement et plutôt que de dénoncer la sempiternelle société de consommation, il est à mon avis plus juste de mettre en lumière la colonisation des imaginaires tournée vers l'injonction à consommer pour être "quelqu'un" dans l'espace social.

Si la société de consommation a des effets néfastes, elle est avant tout la conséquence d'une société qui produit toujours plus de biens et de services, mais aussi et surtout, qui produit une économie du désir et de l'attention dans laquelle nous sommes toutes et tous pris.

Moins je suis reconnu dans l'espace social et dans la société du spectacle (puisque tout cela n'est qu'un spectacle avec l'idée de se mettre en scène), plus j'ai tendance à combler ce manque de reconnaissance par le fait de rendre visible mon existence sociale, à travers ce que je possède. 

Je possède donc je suis / Je suis puisque je possède. 

Saïd Oner, 

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