La question de la parentalité chez les femmes, entre injonction sociale et construction sociale :

Il est coutume de dire qu’une vie réussie englobe la combinaison de plusieurs facteurs. D’abord, la vie professionnelle qui permettrait l’épanouissement personnel et la sécurité économique. Ensuite la vie affective afin de mener des relations sociales équilibrées, et enfin la vie familiale qui consisterait à partager avec autrui et à assumer un rôle de responsabilité parentale.

Dans cette représentation d’une « vie réussie », l’idée de faire un ou des enfant(s) est naturelle et s’inscrirait dans une forme d’équilibre. Même si l’on peut faire remarquer que les avancées sociales de ces dernières décennies indiquent une progression de la liberté pour chacune et chacun de faire des choix, il demeure l’idée dominante qu’avoir des enfants est tout de même un passage plus ou moins obligé.

J’en veux pour preuve les remarques récurrentes à l’égard de ces jeunes trentenaires à qui l’on demande, toujours très joyeusement et poliment, d’expliquer voire de justifier les raisons de cette « non parentalité ». Ce constat est d’autant plus fort à l’égard de jeunes femmes pour qui l’option de la maternité n’en est plus une. Il semblerait que dans nos sociétés, celles d’hier mais aussi celles d’aujourd’hui, les femmes seraient naturellement amenées à devenir mères. Une femme de 35 ans n’ayant pas d’enfants est une anomalie pour nos sociétés contemporaines, et celle-ci fera l’objet d’interrogations multiples, tant sur le plan médical, affectif ou psychologique : Peut-elle avoir des enfants ? A-t-elle pensé à son équilibre psychique ? A-t-elle pensé à ses proches, à sa famille ?

Il se peut même qu’on lui reproche son « égoïsme », si d’aventure elle expliquait que c’est son choix et qu’il n’a pas lieu de l’interroger.

Lorsqu’une femme ne devient pas « mère », nos sociétés médicalisent ou psychologisent un choix qui devient un problème. Là encore son corps n’est plus le sien est fait l’objet d’interprétations diverses, niant la simple possibilité du choix de ne pas.

Il existe donc une pression sociale et sociétale qui fragilise les femmes n’ayant pas d’enfants, en questionnant un choix ou un état de fait. Ces femmes sont alors interrogées, remises en cause, parfois jugées, parfois méprisées, parfois rejetées.

Dans le même temps, les femmes qui ont des enfants, elles aussi, subissent une pression sociale et sociétale. La première consiste à leur rappeler, si besoin était, que c’est à elles qu’incombent le devoir de parentalité et que c’est à elles d’organiser leur vie, pour répondre à cette injonction sociale qui entend rappeler que c’est à la mère de s’occuper de son enfant, et d’en subir les éventuelles conséquences annexes (réduction du temps de travail, perte d’un emploi, arrêt de certaines activités, perte de liens sociaux, isolement…). Le père, lui, peut naturellement combiner des activités sociales et professionnelles, tout en jouant son rôle de père. L'incarnation et l'équilibre des différents rôles sont ici valorisés et il serait malvenu de rappeler à un père son rôle de devoir de parentalité.

La pression sociétale pour ces femmes ayant des enfants se manifeste, quant à elle, par le devoir d’éduquer son enfant, ce qui sous-entend l’idée d’incarner un rôle de mère qui devient exclusif et permanent. La qualité de femme dans sa dimensions plurielle s’efface au profit du rôle unique et figé de mère, au profit de ce qu’attend la société du rôle de mère : l’éducation, l’affection, le dévouement, le sacrifice.

Sortir de ce cadre là, celui de la mère à qui revient le devoir de parentalité et qui n’est reconnue qu’à travers son rôle de mère et non plus de femme, c’est s’exposer pour ces femmes à de la violence symbolique, à de la violence morale et psychologique, à de la violence physique et plus largement à de la violence sociale.

Quitter le rôle que l’on vous assigne socialement, c’est bousculer les codes et les construits sociaux. Et c’est en cela que cela peut provoquer de la violence sociale :

- Une mère qui fait le choix de penser à elle dans le cadre d’une sortie festive ne peut être qu’une mère indigne (violence symbolique). 

- Une mère qui éprouve un besoin de souffler est une mère sur qui on ne peut compter (violence morale et psychologique).

- Une mère qui fait le choix de ne pas être dépendante d’un tiers et qui veut témoigner de sa liberté est une mère qui prend le risque d’être jugée, bousculée, violentée (violence physique). 

- Une mère qui aspire à équilibrer sa vie en jouant différents rôles, notamment en accordant une importance considérable à son travail est une mère, là aussi, indigne (violence sociale).

Ainsi, lorsqu’on est une femme, la question de la parentalité ne se fait jamais sans violences. Une femme qui n’a pas d’enfant(s) subira l’opprobre de la société selon les raisons évoquées plus haut. Tandis qu’une femme qui a des enfants sera sommée de jouer ce rôle de mère, en négligeant son rôle et ses aspirations de femme, de personne, d’individu.

Peut-être est-il bon de rappeler que la maternité et la paternité relèvent d’un choix, lui-même relevant d’un droit. Le droit permet au choix de ne pas avoir à s’expliquer ou à se légitimer. Une femme qui n’a pas d’enfant(s) est une femme qui n’a pas d’enfant(s). Nul besoin de médicaliser, ni de jeter l’opprobre sur un choix ou un état de fait qui ne regarde que l’intéressée.

Aussi, une femme qui évolue vers le rôle de mère ne quitte pas subitement ce qu’elle est foncièrement, à savoir une femme. Ne peut-on pas concilier l’idée de jouer plusieurs rôles ? L’équilibre tant vanté par les psychologues n’est-il pas dans le fait d’incarner plusieurs rôles dans plusieurs dimensions, dans plusieurs contextes, dans plusieurs situations ? Peut-on indéfiniment enfermer une femme dans un rôle strict et unique de mère ? Sans que cela ne perturbe son équilibre mental et psychique ? Ne trouvons nous pas un équilibre de vie dans nos capacités à diversifier nos rôles, nos activités, nos intérêts ?

Concluons par souligner, in fine, à quel point il n’est pas évident d’être une femme aujourd’hui comme hier. Les progrès sociaux ont permis de gagner de nouveaux droits, qu’il convient tout de même de rappeler et de réactiver, au risque de de leur faire perdre de leur substance. Malgré tout, les mentalités conservatrices demeurent et continuent d’organiser nos sociétés, non pas tant par la traduction de lois - pas en France tout du moins - mais par des réflexes et des construits sociaux qui catégorisent et enferment des personnes dans des rôles sociaux inamovibles. C’est en cela que l’on peut qualifier nos sociétés de réactionnaires et de conservatrices.

La première des émancipations, qu’elle soit individuelle ou collective, est d’interroger les rôles sociaux que nous jouons dans nos sociétés, afin de pouvoir considérer l’autre selon sa singularité, et non pas selon ce que la société attend de lui. C’est la raison pour laquelle lorsqu’une femme trentenaire n’a pas d’enfant(s), le réflexe émancipateur n’est pas de lui demander pourquoi elle n’a pas d’enfant(s) mais de la recevoir dans ce qu’elle est. Tout comme une femme ayant un ou des enfants(s), le réflexe émancipateur n’est pas de la renvoyer à son rôle strict de mère mais de l’accueillir selon ce qu’elle est.

L’identité d’une femme comme d’un homme est multiple. Elle ne peut se résoudre à un rôle strict, sans quoi nous jouons le jeu mortifère des identités strictes et figées qui se combattent, se fustigent et se font la guerre, sans jamais se rencontrer.

 Saïd Oner,

 

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