Greta Thunberg et Tintin, une filiation ?
Si Tintin devait être un personnage réel et contemporain,
peut-être pourrait-il s’incarner en la personne de Greta Thunberg. Et cela pour
plusieurs raisons. D’abord, il faut savoir que le deuxième prénom de Greta est
Tintin et que cela suppose une volonté parentale de faire un lien avec le
personnage de fiction que nous connaissons bien. En effet Greta, de son nom
complet, s’appelle « Greta Tintin Eleonora Ernman Thunberg ». A
partir de là, et connaissant aujourd’hui l’activisme dans lequel s’inscrit
Greta Thunberg en particulier celui des luttes écologistes et des luttes
anticapitalistes et antiimpérialistes, on peut encore supposer que le choix du
nom de Tintin a été fait en référence aux valeurs que défend ce dernier.
Tintin, dans son œuvre globale, est animé par des valeurs progressistes que
l’on peut définir comme telles : la rencontre de l’altérité, une certaine
idée d’une justice sociale, une défense des minorités (les Romanichels,
notamment), l’amitié avec les hommes et les peuples d’où qu’ils viennent
(Zorino, Abdallah, Tchang, Szut, Alcazar…) et de façon plus générale le courage
et l’abnégation. Aussi, et moins évoquée, la question du droit et de la justice
dans Tintin est très présente. Il faut rappeler que Tintin est un personnage qui cherche à la
fois la droiture et la justesse, pourrait-on dire, dans ses relations à l’autre
ou aux autres, et surtout qui fait appel à la justice, plutôt qu’au
ressentiment, à la vengeance, à l’arbitraire. On peut citer en exemples son
traitement à l’égard des bandits qu’il confie à la police, son traitement
humain et juste à l’égard de Frank Wolff dans « On a marché sur la
lune », de Piotr Szut dans « Coke en Stock », ou encore de façon
plus significative, sa volonté farouche de passer par un procès en justice pour
l’équipe de Tapioca dans « Tintin et les Picaros », alors que la
tradition est à la fusillade après une révolution.
Ainsi, toutes ces valeurs sont incarnées par Tintin, et
c’est l’occasion ici de redire à quel point le parcours d’Hergé a su être
évolutif, lui qui a d'abord baigné dans des valeurs réactionnaires et
conservatrices. Ensuite, si Greta se prénomme Tintin, c’est également une
manière de démontrer que le visage de Tintin est un visage auquel tout le monde
peut s’identifier. Et aussi les petites et grandes filles. Tintin est un garçon, ce n’est
pas un secret de polichinelle, mais son trait relativement simple et son visage
particulièrement impersonnel permet à tous les sexes d’imaginer la possibilité
de s’identifier à lui. Ainsi, le visage rond et juvénile de Tintin rappelle celui
de Greta ou plutôt est-ce l’inverse. Il est frappant de constater à quel point
le visage de Greta ressemble à celui d’un Tintin prêt à s’aventurer dans les
moindres recoins du monde. Là aussi, le génie d’Hergé a permis à bon nombre
d’enfants de parcourir les Aventures de Tintin en s’imaginant à la place de
Tintin. Ce qui n’est pas rien pour pléthore de mômes, filles et garçons
confondus, pour qui le quotidien n’était pas toujours très rose.
Depuis la naissance de Greta, celle-ci a fait du chemin.
Elle s'est d'abord fait connaître pour son engagement relatif aux questions écologiques
et climatiques, elle a également pris position contre des dirigeants politiques
de façon frontale et aujourd’hui, elle articule la lutte écologique au système
économique dans lequel nous vivons, lequel se nourrit du colonialisme et du
racisme. Greta a su faire évoluer sa pensée politique en articulant des
dimensions plurielles afin de rendre plus consistant son activisme politique.
Aujourd’hui, son action politique force le respect, elle qui a rejoint tous les
mouvements d’émancipation et de lutte des opprimés dans des perspectives de
justice sociale dans le monde entier, et qui est, à l’heure où j’écris ces
lignes, sur un voilier prête à risquer sa propre vie à 22 ans pour crier l’urgence
politique et citoyenne à agir pour les populations de Gaza.
Par conséquent, il est tout à fait possible aujourd’hui
d’imaginer que si Tintin avait survécu, il aurait été de ceux qui luttent
contre le réchauffement climatique, pour la dignité des peuples à exister,
contre les politiques de répression et d’oppression à l’égard des populations du
monde entier. N’en déplaise à ceux qui aiment figer les choses dans un temps
donné. Tintin, dans son parcours, a démontré sa capacité remarquable à évoluer
et à faire de l’autre un sujet d’attention et de considération. La justice
sociale, l’écologie ou encore le respect des peuples à disposer d’eux-mêmes
auraient été des préoccupations très fortes pour Tintin, et son créateur
n’aurait pas dévié de celles-ci, lui qui n’est autre que le reflet de
l’évolution de sa créature. Ainsi et en dépit des vieilles rancunes qui aiment
à inscrire Tintin dans un passé où fermeture et conservation restent les mots
d’ordre, il y a tout pour démontrer, à travers la leçon que nous a laissé Hergé,
que Tintin fort du mouvement continu qui a été le sien aurait inscrit ses
combats selon des enjeux contemporains. Les amis de Tintin jadis ont pu être à
la fois péruvien, chinois, arabe, népalais, estonien, sud-américain et même
syldave ou khémédite. Ses amis d’aujourd’hui auraient été bosniens,
palestiniens, soudanais, yéménites, irlandais ou encore boliviens. De la même
manière, quand en 1935 il s’oppose à l’impérialisme militaire en Mandchourie,
il aurait exemplairement aujourd’hui pris la défense des Ouighours, minorité
musulmane opprimée par l’état de Chine. Hergé qui aimait bien traiter de causes
plus ou moins connues mais pas toujours mises en lumière (l’esclavage via le
bois d’ébène, l’impérialisme militaire d’un espace comme la Mandchourie, le
traitement des Romanichels, la spoliation des terres, la restitution des biens
culturels…) n’aurait pas hésité à évoquer la question du sort des minorités opprimées
dans le monde.
En conclusion, il est important de rappeler une énième fois
le caractère progressiste et évolutif des Aventures de Tintin, d’abord par
l’intermédiaire de Tintin lui-même qui est celui va à la rencontre des autres,
et ensuite par le biais de Hergé qui s’oblige à évoluer vers la connaissance
des autres dans un souci d’ouverture et de tolérance. Ce combat est aujourd’hui
porté par bien des populations et collectifs divers et variés qui luttent pour
les valeurs énoncées plus haut. On peut largement imaginer que Greta Thunberg,
une jeune fille de 22 ans héritant du nom de Tintin, qui lutte à des fins
d’ouverture et d’émancipation est le personnage réel qui se rapproche le plus
de Tintin jadis, mais aussi de Tintin comme on est en droit de l’imaginer
aujourd’hui. De plus, le fait qu’il s’agisse d’une fille permet de faire un lien
avec le combat féministe qui, lui aussi, a pris un tournant majeur depuis une
dizaine d’années avec les révélations scandaleuses portées au grand jour de violences
sexistes et sexuelles d’abord dans le monde du cinéma, puis plus largement au
sein des sociétés contemporaines. Hergé, il y a fort à parier, n’aurait pas fermé
les yeux sur ces questions et n’aurait pas crié au scandale si Tintin était
aujourd’hui une fille, plutôt qu’un garçon.
Tintin s’est arrêté de vivre en 1983 en tant qu’éternel
jeune homme. Son aura demeure encore aujourd’hui très importante, même si peu à
peu elle fait face à des productions culturelles nombreuses qui s’imposent à la
jeunesse d’aujourd’hui. Il reste que l’héritage de cette œuvre, au-delà de son
personnage principal, s’inscrit pleinement dans la défense de causes sociales,
humanistes, politiques. L’on peut imaginer la personnification de Tintin à
travers une figure comme Greta Thunberg qui porte en elle toutes les valeurs
que Tintin a défendues, tout en poursuivant une batterie de combats et de
luttes propres à notre époque et à la situation que connaît le monde aujourd'hui. Sa bouille juvénile rappelle que la jeunesse peut
être portée par des idéaux de justice et d’émancipation, que l’engagement peut
donner un sens dans un monde où les injustices demeurent criantes et que fermer
les yeux sur le malheur du monde ne fait qu’ajouter du malheur au monde.
Tintin n’est pas Greta Thunberg, Greta Thunberg n’est pas Tintin. Il y a pourtant bel et bien une filiation entre un personnage fictif et un personnage bien réel, qui tous deux, à leur époque, dans leur contexte et dans leur singularité qui leur est propre, participent de la défense de causes humaines et sociales, faisant de ce monde un monde où l’indifférence à l’égard d’autrui ne sera jamais totale. Et l'on peut s'en réjouir.
Saïd Oner,
Greta est autiste. Tintin l'est-il aussi? Ça ne serait pas bête à étudier...
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