La démarche qualité : une restructuration conceptuelle marchande et libérale des institutions sociales.
La démarche qualité est un projet qui consiste à obliger les institutions sociales et sanitaires à se conformer à un certain nombre de directives. Cette démarche est née à partir de la loi du 2 janvier 2002 qui évoque le souci de la qualité et de l’évaluation dans une logique de satisfaction de la clientèle et/ou de la patientèle.
Progressivement, ce projet va se généraliser à l’ensemble des institutions et autres organismes accueillant du public et offrant un service aux personnes, qu’il fasse l’objet d’un accompagnement social, socio professionnel ou encore sanitaire. Cette généralisation de l’application d’une démarche qualité dans ces organismes va être l’occasion d’introduire un vocabulaire nouveau avec des mots qui vont s’imposer dans la tête des professionnels.
Ces mots sont des mots qui furent pensés, discutés et réfléchis par des groupes de personne (que l’on peut appeler « think tank ») dont le projet s’inscrit dans une continuation du projet libéral, consistant à imposer la logique de marché dans le champ social, au détriment de ce qu’il reste de ce qu’on appelle le « service public ».
Le projet néo libéral tend à organiser la société dans des rapports marchands, débarrassés de tous services publics. Ce dernier s’en prend aujourd’hui aux deux services publics que sont l’hôpital et l’éducation avec des effets que l’on peut d’ores et déjà observés. L’hôpital est une institution à qui l’on somme aujourd’hui d’être rentable, de se restructurer selon une logique gestionnaire et entrepreneuriale. Dès lors, le professionnel soignant développe un rapport à son travail qui s’articule autour de concepts tels que les objectifs, l’évaluation, le projet, les compétences ou encore la qualité.
Ce sont précisément ces mots qui relèvent du vocabulaire qu’impose la démarche qualité aux professionnels. Ainsi, et sous couvert de la recherche de la qualité, les praticiens sont aujourd’hui sommés de répondre à des critères, de remplir des protocoles, de répondre à des objectifs, de démontrer des preuves, de tracer ou encore de compléter des tableaux Excel répondant à des items pensés par d’autres. Le professionnel soignant va donc « justifier » de son travail selon un séquençage pensé autour de l’objectif, du rendement et de l’évaluation.
Ce séquençage a pour effet d’appliquer une méthodologie conceptuelle à laquelle est soumis le professionnel. Il ne peut plus penser sa pratique, il ne peut plus développer une pensée critique et réflexive sur son travail, il ne peut pas confronter son regard à celui de ses collègues. Il ne pense pas car on pense à sa place, il devient un exécutant qui doit répondre à des injonctions statistiques et de rentabilité, présentés sous l’angle de la positivité.
Car oui, le projet néo libéral développe tout un vocabulaire positif qui empêche de penser ce qu’il nous impose. C’est pourquoi il a besoin d’imposer des termes que l’on va accueillir positivement, que l’on va percevoir comme bénéfiques pour notre organisation de travail. Qui peut être contre la qualité ? Qui peut s’opposer à une évaluation ? Pas grand monde car à priori la qualité est une bonne chose, l’évaluation aussi si elle permet de mettre en valeur. Or la démarche qualité a beaucoup plus à voir avec l’idée de contrôle dans une logique gestionnaire et de rentabilité. Les professionnels souffrent de cette démarche qualité car ils n’effectuent plus leur travail, ils répondent à des critères et à des protocoles. Un soignant ne soigne plus, il remplit des tableaux Excel.
J’en viens à la notion de compétences qui, elle aussi, a gagné les esprits depuis la réforme de la formation professionnelle de 2018. Aujourd’hui, la formation professionnelle fonctionne de façon dogmatique avec le concept de compétences. Il faut développer les compétences au sein de l’entreprise. Là encore, tout cela paraît anodin. Qui peut être contre le développement des compétences ?
Or, ici, ce concept opère un changement paradigmatique dans lequel les compétences sont des attributs du sujet. Est reconnu comme compétent celui qui va opérer un changement à partir de sa personne. Ainsi, le concept de compétences relève d’un savoir être à développer dans l’entreprise pour se conformer à une autorité ou à des directives. Le travail d’un professionnel n’est plus valorisé à partir de son savoir-faire, de sa capacité à inventer son travail, à le penser et donc, in fine, à le nourrir mais bien à partir de sa capacité à se conformer à des directives. C’est cela les compétences.
Pour conclure, il est difficile de remettre en cause un concept comme la démarche qualité qui paraît anodin, qui semble inoffensif. Or, offensif il l’est, notamment en direction des derniers bastions de service public qu’il reste. Il impose sa logique gestionnaire, de contrôle et de rentabilité dans des institutions dont la finalité ne relève pas de la profitabilité économique. Il suffit d’écouter ces praticiens de santé ou d’éducation qui souffrent de ne plus penser et de ne plus inventer leur métier, de ne plus essayer, de ne plus « trouvailler ». Ne parlons pas de ces salariés qui se sont suicidés parce qu’ils n’étaient plus que des exécutants assommés d’injonctions aux objectifs, aux rendements, à la performance.
La démarche qualité ne tombe pas du ciel, elle est pensée par les tenants du néo libéralisme qui veulent mettre au pas les derniers services publics que sont la santé et l’éducation au projet de libéralisation de la société, dans laquelle seules la marchandisation et la contractualisation seront les modes opératoires de notre organisation sociale.
Là encore, il convient aux professionnels dont les quelques maigres convictions humanistes, de solidarité et d’accompagnement demeurent, de faire un véritable travail d’éducation populaire (au-delà de valeurs dépolitisées, consensuelles et de convenance) pour continuer à entretenir une pensée critique dans une visée de transformation sociale.
Nous avons le choix, soit nous développons de la pensée critique pour comprendre ce qui nous est imposé, soit nous accompagnons le projet néolibéral de destruction des services publics.
Saïd Oner,
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