La mentalité bourgeoise dans le traitement moral et esthétique des émeutes populaires :

Cela fait maintenant une semaine que les médias dans leur ensemble se tendent quant à la question des violences urbaines. Ce choix médiatique, partagé par toutes les chaînes d’infos, répond à deux logiques qui s’additionnent : d’abord la logique d’audimat, en diffusant des images de violences et en parlant du matin au soir des émeutes et des pillages, ces chaînes d’infos font dans le sensationnalisme et s’assurent des scores d’audience très favorables. C’est donc une logique purement néolibérale et mercantile qui motive ces groupes médiatiques à faire de tels choix.

Ensuite, la seconde logique consiste à jouer ce rôle de chiens de garde du pouvoir politique, terme que l’on doit à Paul Nizan. En effet, ici les médias relayent des images qui permettent de façonner l’opinion publique dans la conservation des intérêts des classes dominantes et du pouvoir. En diffusant des images de violences populaires en sélectionnant les termes de pillages, de casseurs, de voleurs, on encourage une lecture qui permet au pouvoir de légitimer sa politique répressive à l’égard de barbares ou de sauvages.

Ces termes choisis dans les médias dominants pour qualifier ces émeutiers ne sont pas choisis par hasard, les mots ne sont jamais neutres. En parlant de voleurs, de pilleurs, de casseurs, les médias dépolitisent le caractère politique de ces émeutes pour le réduire à des actions déconnectées, décorrélées de jeunes sauvages, de jeunes délinquants n’étant pas éduqués.

Pourtant, ces émeutes sont éminemment politiques, elles ont vu le jour après la mort d’un jeune homme de 17 ans tué par un policier. Faut-il le rappeler ?   

Les remarques qui consistent à juger ou à condamner les lieux ou les bâtiments qui sont attaqués relèvent d’une mentalité hautement bourgeoise. Condamner le choix des lieux attaqués est une remarque bourgeoise et paternaliste, car l’esthétisme est le confort du bourgeois qui peut commenter à l’abris du champ de bataille.

Si ces jeunes attaquent des écoles ou des services publics, c’est parce qu’ils identifient ces lieux comme des lieux de pouvoir, d’autorité et possiblement d’humiliation. L’école, institution sacralisée, est aussi ce lieu qui reproduit les inégalités sociales, qui hiérarchise, sélectionne et exclut. Les services publics, aussi importants soient ils, ont pu être le théâtre d’humiliations pour les classes populaires qu’on a parfois méprisé, regardé de haut…

Tous ces lieux peuvent représenter des symboles d’autorité et de pouvoir dans lesquels les expériences de ces populations ont parfois été douloureuses et humiliantes.

Plus généralement, ces populations se révoltent en ciblant ce qu’elles connaissent. Il est bien trop facile de dire qu’il faudrait s’en prendre à des lieux de pouvoir hautement plus importants quand le seul horizon de ces populations se résume à quelques services publics, quelques magasins, quelques écoles. Les populations des classes populaires ne connaissent pas les lieux centraux de pouvoir, leur quotidien spatial n’est pas celui-là.

Il n’y a que le bourgeois, ou plus précisément la mentalité bourgeoise, qui pense pouvoir dire ce qui est bon pour les classes populaires. Il n’y a que le bourgeois qui peut se permettre confortablement de dire ce qui est moralement acceptable, de ce qui ne l’est pas. Il n’y a que le bourgeois qui peut faire cela car le bourgeois est précisément un parasite, qui fort de sa position sociale ou ayant épousé le paradigme de la bourgeoise, peut commenter avec un ton paternaliste selon des critères moraux et esthétiques.

Ces jeunes sont révoltés contre la mort d’un jeune des classes populaires. Dans leur vivacité et dans leur spontanéité juvénile, ils tentent de dénoncer avec leurs moyens l’arbitraire d’un policier qui a amené à la mort de ce jeune Nahel. Cela est foncièrement politique car cela répond à un fait politique, la question de savoir ce qui a été cassé n’a pas à se poser. La révolte se traduit par un mouvement spontané, plus ou moins organisé, mais qui répond à un fait politique : la mort d’une jeune par un représentant de l'autorité l’état. La suite à ce fait politique est donc évidemment politique.

Dénier à ces jeunes la dimension politique de leur révolte en la caricaturant, en évoquant des émeutes de jeunes mal élevés, qui ne seraient pas éduqués par leurs parents, est là aussi, une infamie bourgeoise et paternaliste. Ces propos sous-tendent que les classes populaires sont incapables d’éduquer leurs enfants, au contraire des classes dominantes civilisées. Dans cas précis, il faut poser la question du pouvoir, beaucoup plus que du vouloir. Les classes dominantes ont le pouvoir culturel, économique et politique pour éduquer leurs enfants dans de bonnes conditions, les classes populaires précarisées n’ont pas ce pouvoir.

Ainsi, réduire la question de l’éducation à la seule volonté de (au sens de « il suffirait de le vouloir ») ou à la responsabilité individuelle sans jamais interroger les rapports de pouvoir est une imposture.

Pour terminer, cette révolte de jeunes est bien une révolte politique qui répond à un fait politique. Si les médias et le pouvoir politique tremblent, c’est parce qu’ils savent que cette jeunesse populaire a un potentiel révolutionnaire important. Il est donc vital pour ce pouvoir, via les médias qu’il possède, de tenter de reconfigurer cette révolte en émeutes avec son lot d’images de pillages et de casse…Et évidemment le Français moyen sera le premier à condamner ces violences et à soutenir les forces de l’ordre…

Toujours est-il, qu’il est hors de question de condamner les violences populaires. Ce qu’il faut condamner avec force, ce sont les crimes policiers impunis qui se répètent depuis 40 ans dans ces quartiers populaires. Ce qu’il faut condamner, c’est le contrôle au faciès, les discriminations raciales et racistes dans le traitement policier de ces populations, et plus globalement, ce qu’il faut condamner, c’est ce pouvoir d’état qui paupérise, écrase et réprime les classes populaires.

Saïd Oner,

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